Florence LEMAIRE Auteure    

               

Il s'agit de la création d'un premier receuil de nouvelles, noires bien entendu, j'ai bien du mal à changer mon univers.

Certaines de ces nouvelles ont été écrites pour des concours de nouvelles. Les autres sont des nouveautés.

Dès que j'ai une idée, mais pas suffisamment précise pour en faire un roman, je commence par en faire une nouvelle, et puis, parfois, le clavier continue son oeuvre, et les quelques pages de départ se transforment en une cinquantaine, puis une centaine.

La première nouvelle a bien plu à mon mari, alors je vous la présente. Elle s'appelle Alena et raconte le calvaire d'une petite fille.

 
Alena,
Petite fille innocente
 
 
Longtemps le lieutenant Varegas s’était couché à point d’heure, tant pour raisons professionnelles que personnelles. Mais en ce funeste mardi d’octobre, les choses allaient s’avérer encore pire.
En cette matinée froide et humide, le lieutenant Varegas, enveloppé dans son long manteau noir et fumant une cigarette, marchait le long des quais du Rhône lorsqu’il répondit à un appel du central. Un corps avait été découvert par un promeneur dans la vieille ville d’Aigues Mortes, à quelques kilomètres de là. Il tira une dernière bouffée, jeta son mégot à même le sol qu’il écrasa et raccrocha. Il était blasé par toute cette violence. « Il est vraiment temps que je raccroche » se dit-il. C’était peut être pour lui sa dernière enquête. Il resterait consultant mais ne serait plus sur le terrain. Il en avait assez de cette routine sans fin, de cette accumulation de cadavre, de misère humaine.
Il était trop jeune pour prendre sa retraite, mais il en avait assez. Il se sentait usé, vieilli, et aigri. Il avait beaucoup de regret dans la vie, tout ce qu’il n’avait pas pu faire à cause de son boulot.
Perdu dans ses réflexions, il allongea le pas et grimpa dans sa voiture de service garée à proximité. Il ne lui fallut guère plus d’une demi-heure pour se rendre sur les lieux du crime. Des scènes sans nom pendant sa carrière, il en avait vu mais jamais rien de semblable.  L’appel de ses collègues ne comportait aucun détail sur le lieu de la découverte, ni sur la victime, ou sur les circonstances du décès mais le ton employé lui laissait supposer qu’il s’agissait d’un crime abominable.  En arrivant sur place, le lieutenant Varegas gara sa voiture à l’extérieur du village, l’enceinte de la vieille ville abritée par des remparts étant interdite à la circulation, même pour lui. Il fit donc à pied les quelques mètres le séparant du plus horrible des crimes sur lequel il n’a jamais enquêté.
Au milieu de la place pavée du centre ville, bordée de restaurants et de musées, se trouvait une foule compacte de curieux venus se rincer l’œil. Le lieutenant ne comprenait pas l’intérêt des gens pour les scènes de crimes. Cela en était parfois malsain. La foule était là pour se délecter de la mort et de son odeur fétide.
Il se fraya, tant bien que mal, un passage au milieu des spectateurs et passa sous le cordon de police, installé par ses confrères, pour délimiter le périmètre de la scène de crime. Ceux-ci avaient également installé une tente pour protéger le corps et les indices de la pluie qui redoublait de violence, faisant fuir les derniers curieux. Ils voulaient bien regarder le spectacle de la violence, mais il ne fallait pas que cela bouleverse leur petite existence bien tranquille. Le lieutenant fit quelques pas, salua le brigadier en faction devant l’entrée de la tente, puis il pénétra dans les lieux. Une forte odeur ferreuse de sang flottait dans l’air et comprimait les poumons du lieutenant. La quantité de sang pour produire une telle odeur devait être impressionnante. Les gouttes de pluies frappant sur la toile de tente résonnaient. Le bruit était assourdissant. L’odeur de pluie mêlée à celle du sang donnait une impression étrange à la scène. Quelques personnes, surtout les hommes de la police scientifique étaient rassemblés autour du cadavre que le lieutenant avait du mal à apercevoir. Il s’approcha un peu plus mais ne put faire un pas de plus. Ce qu’il voyait était tellement épouvantable qu’il se retint de ressortir en courant pour aller vomir. Comment les membres de l’équipe scientifique faisaient pour faire ce boulot ?Il n’en savait rien mais ce qu’il savait c’est que lui ne pourrait pas s’y habituer. Ces experts étaient rodés à toutes sortes de crime même les plus malsains, mais là cela dépassait tout ce qu’il avait déjà vu.
Le lieutenant Varegas s’habitua un peu à l’odeur pourtant insoutenable avec l’aide du légiste qui lui donna un peu de Vicks à se mettre sous le nez, et examina, avec un certain recul qu’il voulait le plus professionnel possible, les détails de la scène. Il avait devant les yeux le cadavre atrocement mutilé d’un enfant d’environ 5 ou 6 ans, de sexe indéterminé au premier abord. L’enfant était couché sur le ventre. Il lui manquait les mains, les pieds et plus surprenant encore, le scalp. Le corps, dénudé et légèrement potelé, était celui d’une petite fille, lui confirma le légiste, et portait la marque de nombreux coups et de violents sévices.
Quand les experts de la police scientifique eurent terminés de prélever les indices, ils retournèrent le corps. Là aussi, de nombreux coups étaient visibles ainsi que des lacérations. Pour ajouter au comble de l’horreur, l’enfant avait été énucléé. Comment une telle boucherie pouvait être possible ? Qui pouvait être le fou pouvant accomplir de tels actes de barbarie sur un enfant innocent ? Telles étaient les premières questions que se posa le lieutenant Varegas. Sa dernière enquête serait, à n’en pas douter, sûrement la plus difficile à supporter psychologiquement. Si jusqu’à présent, il rentrait tard chez lui, il parvenait sans difficulté à s’endormir même après des journées bien remplies, mais il doutait qu’après un crime aussi ignoble, il puisse arriver à trouver le sommeil avant longtemps. Les scènes de crime impliquant des enfants étaient les plus difficiles à supporter pour lui comme pour beaucoup de ses collègues. Il n’arrivait pas à ce faire aux fins tragiques des ces gamins innocents. Il fallait être un monstre sans nom pour commettre un tel crime.
Le lieutenant Varegas demanda, aux experts, si l’enfant pouvait porter une marque, une tâche de naissance pour leur permettre de l’identifier. La première chose à faire dans ce genre d’enquête était de rechercher l’identité de la victime. Il fallait prévenir les parents au plus vite. Les experts scientifiques prirent tous les clichés possibles et les remirent au lieutenant.  Celui-ci prit les photos et sortit de la tente. Il inspira une grande bouffée d’air chargée d’humidité et souffla. Décidemment, il n’arrivait plus à faire ce métier correctement. La crainte d’un attachement à la victime était trop grande pour qu’il continue sur cette voie.
Le lieutenant regarda autour de lui, il n’y avait plus personne sur la place. Les badauds étaient rentrés chez eux, bien au chaud dans leur foyer, confortablement installés devant un bon feu de cheminée crépitant doucement.
Le lieutenant haussa les épaules et alla reprendre sa voiture pour se rendre au commissariat, sur Arles. C’était là que se trouvait son bureau. Assis derrière son volant, il repensait à sa carrière, à tout ce qu’il avait sacrifié. Il n’avait jamais réussi à fonder une famille. Comment blâmer les femmes qu’il avait rencontrées ? Il était absent la plupart du temps, et quand il était là, ses enquêtes étaient sa priorité. Son travail avait toujours passé au premier plan. Maintenant à plus de cinquante ans, il se retrouvait seul le soir en rentrant chez lui, sans personne à qui parler de sa journée, sans enfant à appeler pour prendre de leur nouvelle, sans petit enfant à câliner, choyer… C’est trop tard pour avoir des enfants, mais au moins il pourrait trouver une compagne agréable pour passer les dernières années de sa misérable vie… 
Quand il arriva sur place, il salua rapidement ses collègues et pénétra dans son bureau. Il ôta son long manteau noir dégoulinant de pluie, alluma une cigarette et se cala dans son fauteuil en cuir. Le lieutenant prit quelques instants de répits avant d’attaquer ses recherches, rejeté sur son fauteuil, les pieds posés sur son bureau. Après quelques minutes, il alluma son ordinateur portable et entra directement sur le fichier des personnes disparues. En quelques clics, il sélectionna le sexe et l’âge approximatif de la victime, puis il étala devant lui les photos prises sur la scène et les examina avec attention, en essayant de les comparer aux résultats des recherches.
Les yeux rougis d’avoir épluché pendant des heures chaque fiche de disparition et sans aucune réponse concluante, il referma le dossier de la petite victime, en soufflant. Le lieutenant était abasourdi. Qui pouvait donc être cette petite fille que personne ne recherchait ? Il n’avait trouvé aucune trace de cet enfant. Il devait pourtant bien exister des parents inquiets quelque part, il ne pouvait en être autrement.
Et pourtant… 
Le lieutenant Varegas se rejeta en arrière sur son fauteuil et ferma les yeux quelques secondes pour reposer son esprit. C’est dans cette position que le trouva le brigadier Charleti. Il toussota doucement pour attirer l’attention du lieutenant.
  • Lieutenant ! tenta-t-il.
  • Oui ! Excusez-moi, je me reposais un peu, fit le lieutenant en se relevant, et en ajustant sa tenue.
  • Cette affaire doit être difficile ! repris le brigadier.
  • Oui, en effet. Enquêter sur une mort aussi horrible est douloureux même pour un enquêteur aguerrit. Que puis-je faire pour vous ?
  • J’ai un appel pour vous. Une femme qui se présente comme étant la mère de l’enfant retrouvé ce matin est au bout du fil et elle aimerait vous parler.
  • Quoi ! La mère est en ligne ! Passez-moi la tout de suite, vous avez bien fait de me déranger !
Le lieutenant patienta quelques secondes, le temps que son collègue lui passe l’appel et décrocha le combiné à la première sonnerie :
  • Lieutenant Varegas,
  • Bonjour, lui répondit une voix jeune et posée. je m’appelle Armelle Lefèvre. Avez-vous retrouvé le corps de ma fille Alena ? demanda-t-elle sans préambule.
  • Nous avons effectivement découvert un corps d’enfant mais nous ne l’avons pas encore identifié. Comment savez-vous qu’il s’agit de votre fille ?
  • Parce que c’est moi qui l’ai déposé à cet endroit ! elle paraissait tout à fait sereine et calme. Comment était-ce possible ? Le lieutenant Varegas en perdait son latin.
  • Je ne comprends pas vos propos. C’est vous qui avez abandonné votre fille, mutilée, au milieu d’une place ! C’est bien ce que vous dites !
  • Oui, en effet. J’ai tué ma fille et je l’ai laissé là pour que tout le monde contemple sa bêtise.
  • Je vous demande pardon, vous avez dit sa « bêtise ». Je crois avoir mal compris.
  • Mais vous avez très bien compris. Il fallait bien la punir cette vermine. Elle attirait le regard de tous les hommes avec ses jolis yeux d’un beau bleu azur, ses petites mains fines et ses pieds menus. 
  • Mais c’était une petite fille, quel crime avait-elle pu commettre pour que vous la punissiez de la sorte ? J’ai bien du mal à comprendre.
  • Mais c’est qu’elle n’était plus innocente ma petite fille adorée. Elle a séduit mon mari et lui a succombé à ses charmes. Vous ne comprenez pas, elle voulait me voler mon mari. Elle, une gamine de 5 ans. Vous vous rendez compte, je suis déjà trop vieille pour lui.
Le lieutenant Varegas était hors de lui, mais il devait se contenir. C’était la propre mère de l’enfant qui l’avait assassiné, mutilée de la sorte, par vengeance. Mais comment une petite fille aurait pu voler le mari de sa propre mère ? C’était insensé. Il ne savait même pas où la trouver pour l’arrêter.
  • Pouvez-vous me donner votre adresse ? Il faut que je vous parle de suite.
  • Venez donc, j’habite au 10 de la place, à Aigues Mortes. Je vous ai observé tout à l’heure. Vous avez l’air d’un homme bon. Je vous attends.
Ainsi cette affaire qui paraissait bien complexe était déjà résolue, mais cela faisait froid dans le dos. Le lieutenant repris son manteau posé quelques instants plus tôt, et sorti du bureau. Il interpella le brigadier Charleti et le pria de l’accompagner pour procéder à l’arrestation de Madame Lefèvre. Les deux hommes grimpèrent dans la voiture du lieutenant et partirent.
En arrivant sur place, ils sonnèrent et se présentèrent pour que Madame Lefèvre lui ouvre la porte. Qu’elle ne fut pas leur surprise quand la porte s’ouvrit de découvrir une jeune fille d’environ 16 ans.
Armelle Lefèvre était une adolescente. Elle avait commis ce crime horrible uniquement par jalousie envers sa propre fille. Le lieutenant entra dans l’appartement suivi par le brigadier. La jeune mère les guida jusqu’au salon où un homme était assis dos à eux, semblant regarder la télévision. Mais, une chose surprit le lieutenant. L’homme n’eut aucune réaction à leur entrée dans la pièce et une odeur infecte avait envahie les lieux. Le lieutenant contourna l’individu pour venir se placer face à lui, ne sachant pas ce qu’il allait découvrir. Ce qu’il vit lui glaça le sang et il ne put retenir un cri d’effroi.
Armelle Lefèvre prit alors la parole pour lui expliquer doucement :
  • Vous voyez, mon mari préférait ma fille. Il aimait tout en elle et particulièrement quelques parties de son corps. Alors hier soir, j’ai tué ma fille, comme cela il ne pourra plus la désirer. Mais je n’ai pas compris, j’ai agit pour lui, pour lui éviter toute tentation. Et lui, il était fou de douleur et j’ai eu peur qu’il me fasse mal, alors j’ai pris le pistolet qu’il cachait dans la table de chevet et je l’ai tué aussi. Mais il paraissait si triste. Pour lui faire un dernier plaisir, j’ai mis entre ses mains ce qu’il préférait le plus : les mains fines, les pieds potelés, les longs cheveux de jais et les beaux yeux bleus de ma fille. Comme ça, il a pu partir avec une partie d’elle. Comme je vous l’ai expliqué le reste du corps, je l’ai descendu sur la place pour que tout le monde la contemple et se rende compte de sa tromperie. C’était de sa faute à elle. Et Maintenant je suis seule.
Décidemment, le lieutenant Varegas ne comprenait pas le fonctionnement du cerveau humain. Comment une mère même très jeune a-t-elle pu croire en la culpabilité d’une enfant de 5 ans ? Elle a du perdre la raison, c’est la seule explication possible.
L’enquête close, le lieutenant Varegas rentra chez lui, de bonne heure, une fois n’est pas coutume mais à cet instant, il cherche encore le sommeil…
 
 Il s'agit de la première nouvelle du recueil qui en comportera une dizaine. Ce texte n'est pas encore tout à fait figé. J'ai d'autres idées pour l'étauffer davantage et le rendre plus intrigant. C'est une première ébauche convenable, mais pas satisfaisante encore à mes yeux.
 


 
 
 



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